Dans les grandes villes belges la part du marché locatif supplante désormais celle de l’acquisitif. Parallèlement, on assiste à une affirmation des phénomènes de ‘co’ (colocation, coliving et cohabitation).
Cette tendance pose alors la question de l’évolution des modèles locatifs confrontés à de nouvelles dimensions : partage, communauté, évolutions technologiques/économiques, mixité sociale et intergénérationnelle, flexibilisation des modes de vie/travail, besoin de mobilité, etc. Pour y répondre la présente Table Ronde réunissait :
Si les principes de colocation, de cohabitation et de coliving relèvent tous de la notion de partage, ils se distinguent toutefois par leurs modalités et finalités. Alors que le partage d’espaces communs en mode colocation existe depuis toujours (ex. : les kots étudiants) et permet de réduire les coûts d’habitation, le coliving va au-delà. Il constitue une formule du ‘vivre ensemble’ organisée par des tiers (opérateurs). Ce sont ces derniers qui créent et animent le lieu/communauté en s’appuyant, entre autres, sur les nouvelles technologies (elles permettent la gestion du concept) et en proposant des services communs parmi lesquels des événements, des véhicules partagés, des espaces de coworkings, etc. Schématiquement on dira donc :
Dans le panel de la présente table ronde, Yust, Colive, Sharehomebrussels et Alphastone sont des opérateurs. (A noter qu’Alphastone est à la fois propriétaire et opérateur via la société Cohabs). Via cette fonction, ils exploitent des biens existants (maisons, appartements, hôtels) en les adaptant à la dimension communautaire (offrir des services) et rétribuent les propriétaires. Leurs marges bénéficiaires se fait davantage sur la plus-value des services offerts que sur la ‘brique’.
L’évolution du segment locatif (désormais 60% du marché résidentiel urbain) met en évidence 3 facteurs. Identifiés par G. Pinte ces 3 éléments sont:
(*) Les biens les plus demandés sont les appartements 2 chambres (85 m² > loyer entre 800 et 1300 € ) On se retrouve donc sur un marché plus lent où chacun négocie intensément. Dans ces conditions, les demandes de colocations suscitent une certaine méfiance des propriétaires.
Comme l’explique Th. De Wilde : «Pour avoir une vision patrimoniale de l’immobilier et rechercher des locataires ‘fiables et à long terme’ nous appréhendons les demandes de colocation et soumettons généralement leur acceptation à la garantie d’une caution. Pourquoi ? Parce que même si un nouveau bail de colocation (**) existe, ce dernier n’est pas une garantie contre une rotation rapide des occupants (principe même des colocations) ni, en conséquence, contre un vide locatif et une perte de revenu. Si l’on souhaite faciliter et fluidifier le marché de la colocation il s’agirait donc de ‘faire entrer le monde de l’assurance dans le principe’. En effet, une assurance garantie locative obligatoire, à charge du locataire (idem assurance incendie), rassurerait les propriétaires alors certains d’être payés des dégât ou des défauts de paiement (***). A cet égard la bonne question est : quel politique aura le ‘courage’ d’imposer une telle mesure ? » (**) Un nouveau bail de colocation est d’application depuis janvier 2018. Il stipule notamment qu’un colocataire sortant doit trouver son remplaçant. (***) Il existe des assurances ‘Pack bailleurs’ qui couvrent les propriétaires en cas de défaut de paiement du locataire. Ces formules sont toutefois embryonnaires et peu efficaces.
Face à ces mouvements, qui ne semblent pas affecter l’appétit des investisseurs, on s’interrogera donc quant au rendement du résidentiel et à sa valeur d’investissement. Comme l’analyse Denis Latour : “Depuis 15 ans les montants des loyers ont peu évolué, alors que le prix d’achat du résidentiel progressait de +/- 30%. Toutefois, les taux d’intérêts demeurant historiquement bas, l’immobilier reste un placement sûr dont les rendements nets fluctuent aujourd’hui entre 2,75 et 3,25% et dont la plus-value dans le temps n’est pas remise en cause. »
Contrairement aux principes ‘patrimoniaux’ dans lequel un propriétaire recherche des locataires à long terme, le coliving porte sur des séjours généralement ‘courts’ (1 mois > 1 an) . C’est ce que précise N. Bokanowski : «Notre modèle – il s’adresse à toutes les tranches d’âges – répond à un besoin de mobilité. Il met en évidence la notion de ‘transit intelligent’ – entre deux étapes de vie – parce qu’inscrit dans une communauté. Parallèlement, au vu des mouvements constatés dans d’autres pays (UK, Scandinavie, ..), la formule du coliving est appelée à se diversifier et à s’appliquer sur le long terme. Il s’agit alors de ‘regrouper des personnes isolées par les aléas de la vie’. Ainsi, on sait d’ores et déjà que nombre de ‘séniors’ préfèreront la formule du coliving – ou de la cohabitation – à celle du home.» Vision partagée et précisée par G. Debray: « Dans le coliving, la question du logement relève autant de l’immobilier que de l’expérience de vie et de la recherche de lien(s). En conséquence nous ne ‘louons pas de chambres’ mais nous accueillons des personnes (essentiellement des jeunes travailleurs internationaux) qui recherchent les valeurs du vivre ensemble et en font la preuve par une lettre de motivation que nous leur demandons ! »
Pour H. Stryckman, la réponse est double :
« Outre que le modèle permet d’accéder financièrement à un logement qualitatif, il souligne la volonté des ‘futurs occupants’ d’être acteurs de leurs logements ! Dans la pratique cette dimension suppose un accompagnement par lequel on associe (via une plate-forme relationnelle, des outils digitaux, etc.) les futurs occupants à la conception du projet (en amont de la phase de construction) et à son développement ultérieur.On répond alors à deux types de considérations :
1. Pragmatiques : quid des aménagements privés et communs, des véhicules partagés, de l’installation d’un espace de coworking, … ;
2. Sociétales : elles portent sur des valeurs communes et posent les questions du rapport aux autres: veut-on s’ouvrir à une AIS (Agence Immobilière Sociale) ? Veut-on une mixité intergénérationnelle, etc.Pour mémoire, le concept d’habitat partagé sous ses multiples formules vient du Danemark où il concerne désormais 8% de la population (+/- 400.000 personnes). Même si nous sommes loin de ce taux, le principe d’une assistance à la maîtrise d’usage est fondamental : il permet aux utilisateurs finaux d’un futur habitat de faire valoir leur vision pour mieux les traduire architecturalement. »
Les modèles ‘co’ tendent à mettre le marché locatif conventionnel en porte-à-faux. Ce que précise M. Xantippe: « Dans son évolution actuelle, le marché locatif met en évidence un sérieux hiatus entre une offre immobilière traditionnelle et l’aspiration des jeunes générations à davantage de mobilité, de flexibilité et de partage . Ce phénomène oppose deux notions : celle des contraintes (superficie, localisation, loyer) et celle des choix des locataires (valeurs communautaires, changements sociétaux, besoin de flexibilté ..) » Analyse validée par N. Bokanowski: “Cela signifie que si la colocation peut se faire dans n’importe quel immeuble conventionnel, le coliving demande autre chose : 50% de briques et 50% d’expérience. “
Ces notions de partage et de mixité posent effectivement question aux propriétaires et investisseurs. « Ainsi dans le cas d’habitations partagées ouvertes à des AIS (baux minimum de 15 ans) certains s’interrogent – à juste titre – quant au réalisme ou à l’utopie de la mixité sociale et en filigrane quant à l’état des lieux du bien lors de la sortie des occupants ! » G. Pinte Pour logique qu’elle soit, cette inquiétude doit toutefois être tempérée. « Un locataire social n’est pas synonyme de dégradation dès lors que le cahier des charges du bien est adapté et que l’AIS se révèle être un bon gestionnaire. Par contre l’avantage du logement social – rendement net de +/- 2,75% – est d’exempter le propriétaire du précompte immobilier. » M. Xantippe Cela signifie qu’existe une segmentation des produits résidentiels et de leurs investisseurs. Toutefois, comme le précise D. Latour « qu’il s’agisse du particulier ‘lambda’ à la recherche d’un complément de pension (hésitant face aux modèles partagés) ou d’un investisseur institutionnel plus audacieux, c’est la qualité de gestion de l’immeuble qui devient déterminante. »
Approche confirmée par G. Debray: “Nous avons la particularité d’être un opérateur libre de fonds et de capitaux. Ayant agi jusqu’à présent pour des investisseurs ou propriétaires particuliers auxquels nous offrons des opportunités d’acheter, de rénover et d’exploiter leur bien (maisons bruxelloises classiques), nous voyons aujourd’hui des investisseurs professionnels et des promoteurs nous demander de prendre en exploitation des projets immobiliers en (re)développement selon notre formule de ‘coliving’. Ils savent que le point essentiel de la réussite du projet est la qualité de gestion de la communauté.”
La réponse est globalement oui. Ainsi, face à un candidat locataire unique, un bien classique défraichi (devant être rénové) proposé à 2.000 € devra revoir son loyer à la baisse (+/- 1.500€) alors qu’en colocation (3 ou 4 personnes) il sera occupé au prix demandé. Idem pour les appartements/ maisons de grandes superficies, rapidement loués (< 1 mois) dès lors que la colocation est acceptée.
Ces offres montrent la nécessité d’une complémentarité des compétences.
Ce que détaille L. Claes: “Dans le coliving, se côtoient deux métiers le promoteur/ propriétaire et l’exploitant/ opérateur. C’est la complémentarité entre une ‘machine d’exploitation’ disposant d’un plan financier et un propriétaire qui crée l’efficacité du modèle dont l’atout premier est la flexibilité. Dans notre offre, cette flexibilité se traduit par des loyers dégressifs proportionnels au temps de séjour (moins de 6 mois, de 6 à 11 mois et au-delà de 11 mois).Ajoutons que si nombre de promoteurs réfléchissent aujourd’hui à développer des immeubles de coliving, ils butent toutefois systématiquement sur la question du quoi et du comment faire!”
Pour avoir intégré /verticalisé cette complémentarité (être à la fois propriétaire et opérateur) M. Xantippe identifie trois avantages inhérents au modèle:
Cela posé, pour disposer d’un parc de 300 chambres gérées par UN seul community manager, la flexibilité évoquée est parfaitement maîtrisable dès lors que vous développez les outils technologiques de gestion des flux, des baux, des garanties, du facility management, etc. Faute de ces technologies nous ne pourrions simplement pas exister ! » La maîtrise de la flexibilité passe aussi par un engagement des occupants. « Ainsi, via notre charte les occupants s’engagent à rester un minimum de 6 mois. Ensuite, conformément à l’article colocation du nouveau bail, tout occupant quittant se doit de trouver son remplaçant. Ce dernier devant être accepté par la communauté ET par le propriétaire. » G. Debray
Par leur évolution /croissance les modèles ‘co’ sont appelés à impacter de plus en plus nos systèmes actuels (ex. : être une alternative aux résidences services) et la construction neuve. Celle-ci devra alors disposer d’une expertise appropriée (dont un accompagnement à la maîtrise d’usage) pour répondre à la question évoquée du quoi et du comment construire. Sur un marché locatif qui tend à se polariser autour d’une double approche (modèle conventionnel ou modèle partagé), le coliving arrive aujourd’hui comme débarquait il y a 10 ans le coworking! Certes le modèle ‘balbutie’ encore au stade des prototypes et des questionnements : c’est un laboratoire ‘au quotidien’ dans lequel on recherche l’adéquation optimale entre briques et services. Toutefois, et à l’instar du coworking, la pierre angulaire du concept repose sur les nouvelles technologies. Il serait en effet impossible d’offrir une flexibilité et un éventail de services, qui font la pertinence du modèle communautaire, si sa gestion (entrées, sorties, baux, réservations, achats groupés, etc.) était privée de cet apport.